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Le Chenaillet : Un océan qui a fait du chemin

Par Nathalie Cayla

L'ascension du Chenaillet, qui culmine à 2634 mètres, permet la découverte de roches dont certaines se sont formées à près de 30 kilomètres de profondeur, au cœur du manteau terrestre ! 

A la fin de l'ère primaire, il y a 250 à 300 millions d'années, tous les continents de la planète sont réunis en une masse unique, la Pangée, entourée par un immense océan, la Panthalassa. Ce rassemblement avait donné naissance à d'immenses chaînes de montagne dont les restes sont encore visibles dans le massif central et le massif armoricain. L'érosion ayant immédiatement commencé son lent travail de sape, c'est sur de vastes pénéplaines que s'ouvre l'ère secondaire. 

Si en surface, la Pangée se transforme, en profondeur se joue son destin. En effet, une immense chaleur se dégage du noyau de la planète. Elle est due à la désintégration d'éléments radioactifs et alimente des mouvements de convection dans tout le manteau. Ces importants mouvements de matière étirent la croûte continentale de la Pangée qui s'amincit progressivement. Une première cassure donne naissance à l'océan atlantique il y a 170 millions d'années. Un autre déchirement, voici 155 millions d'années crée l'océan alpin. 
Au centre de celui-ci fonctionne une dorsale médio-océanique comme celle qui occupe toujours aujourd'hui le milieu de l'océan atlantique. Sous celle-ci, du matériel profond, plus chaud et donc moins dense, remonte et sous l'effet de la décompression, parvenu à une profondeur de 20 à 30 kilomètres, il entre en fusion. 
Le magma issu de la fusion partielle des roches du manteau continue son ascension à travers des roches qu'il a appauvri, et qui prennent alors le nom de péridotites (7). 

Quelques kilomètres avant d'atteindre la surface, il s'accumule dans une chambre magmatique où certains minéraux commencent à cristalliser et sédimentent au fond de la chambre donnant naissance à des gabbros (8), roche plutonique de même composition que les basaltes mais entièrement cristallisée en raison de son refroidissement lent en profondeur. Le magma restant, rejoint la surface où il s'épanche en prenant une forme particulière en coussin (9).

Radiolarite et calcaire

Très rapidement, l'océan s'approfondit et les basaltes, de plus en plus vieux au fur et à mesure que l'on s'éloigne de l'axe de la dorsale sont recouverts de particules issues des coquilles et des tests d'organismes marins, ou de la désagrégation des continents. Les radiolarites (1), sédiments siliceux d'âge jurassique se déposent en premier, à forte profondeur car alors, le calcaire a été entièrement dissous lors de sa lente descente. L'apparition de nouveaux magmas à l'axe de la dorsale provoque l'éloignement du plancher océanique nouvellement créé et celui-ci s'éloignant de l'axe parvient dans des zones moins profondes où les sédiments calcaires (2) peuvent alors se déposer. Des argiles (3), particules résiduelles de l'érosion des continents les recouvrent ensuite. 

A raison de 2 à 3 centimètres par an, l'océan alpin croit durant 70 millions d'années atteignant la taille de 1500 kilomètres. A chaque poussée de croissance des failles apparaissent provoquant des éboulements qui donne naissance à des brèches (10), roches constituées ici d'un mélange de cailloux d'ophiolites qui apparaissent sur les basaltes en coussin. 
C'est alors qu'un changement de mouvement du continent africain rapproche ce dernier de l'europe. L'océan alpin commence à se refermer et des morceaux entiers de celui-ci disparaissent sous la croûte continentale. 
Au début de l'ère tertiaire, il y a 65 millions d'années l'océan n'existe plus. La compression se poursuivant, certaines roches de ces fonds océaniques sont expulsées sous la forme de nappes de charriage qui progressent vers l'ouest provoquant, lors de leur passage au-dessus d'autres roches, des augmentations de température et de pression qui transforment ces dernières (4). Les plissements qui affectent alors les sédiments marins sont bien visibles au sein des radiolarites (5). 
Sous l'action de l'érosion, certains minéraux des roches qui composaient le plancher océanique se transforment. Ainsi, il y a serpentinisation (6) des péridotites du manteau. 
Pour compléter votre lecture : Vous pouvez, tout comme moi, vous plonger avec profit dans les articles de Monsieur CIRIO, président du C.B.G.A. (Centre Briançonnais de Géologie Alpine, 35 rue Pasteur 05100 Briançon)

A découvrir chemin faisant 

En entrant à Montgenèvre, prenez, sur la droite, la route de la piscine et garez-vous avant celle-ci. Continuez sur cette route à pied puis engagez-vous sur un petit chemin qui sur la gauche est balisé Chenaillet et ruisseau Durance. 

La station de Montgenèvre  
C'est à Montgenèvre que débuta l'épopée du ski en France. En effet, au début du siècle le capitaine Clerc effectue ses premiers essais sur les pentes du Gondran. Le 159 ème régiment d'infanterie alpine, le " quinze-neuf " développe alors, matériel et technique. La première compétition internationale, organisée par le club alpin français aura lieu les 11 et 12 janvier 1907, elle réunira les athlètes de six pays.

Tout au long de la montée, on rencontre par endroit des débris des roches que l'on étudiera ensuite mais les véritables observations ne commencent qu'une fois parvenu sur la crête au- dessus de la cabane des douaniers.   

Le Chenaillet vu du col de Gondran

Les couleurs de la pelouse alpine. 
Dans les prés du Gondran, on est frappé par les couleurs vives et chatoyantes de toutes ces fleurs de la pelouse alpine. Pourquoi une telle débauche de pigmentation ? Deux raisons à cela, la plupart des plantes d'altitude confie aux insectes le soin de leur pollinisation, le vent étant trop violent pour la réaliser efficacement, plus leurs couleurs seront vives mieux elles attireront les insectes. Mais à l'origine ces couleurs vives sont liées à la qualité des rayons lumineux qui permettent à ces plantes de n'avoir besoin que d'une faible surface d'appareil chlorophylliens (les feuilles) pour produire une quantité importante de sucre. Ces derniers sont stockés avant leur transformation en amidon et servent d'antigel mais aussi à la fabrication de pigments.

Dirigez vous alors vers l'ouest, (comme l'indique le panneau indicateur !) pour croiser les roches sédimentaires océaniques qui se sont déposées sur le fond de l'océan alpin

Les radiolarites (1) colorées en rouge par les oxydes de fer qu'elles renferment sont formées par l'accumulation des tests siliceux de microorganismes planctoniques, radiolaires et diatomées. Au-dessus lorsque les hauteurs d'eau surmontant les fonds océaniques étaient moindre on rencontre des calcaires blancs (2) provenant du dépôt des particules calcaires issues des coquilles d'autres microorganismes planctoniques, les coccolithophoridés et les foraminifères. Enfin ces deux couches sont surmontées par des argiles (3) issues des matériaux détritiques arrachés des continents et apportés aux océans par les fleuves. Ces argiles ont été transformées en schistes (4) sous l'action de l'augmentation de pression et de température causées par le passage au-dessus de celles-ci des nappes de roches plus orientales déplacées lors de la fermeture de l'océan alpin. Ces déplacements ont aussi provoqués des plissements dans les sédiments qui ne se présentent pas toujours dans l'ordre énuméré plus haut (5). 

Revenez ensuite à la cabane des douaniers afin de pénétrer plus profondément dans l'océan alpin en partant à la découverte du massif ophiolitique du Chenaillet. 
Une première roche, appelée serpentine (6) en raison de sa couleur sombre et de sa structure en écaille de serpent, doit attirer votre attention. En l'observant de près vous pouvez y voir une masse vert sombre de serpentine qui provient de la transformation des péridots de la roche initiale, une péridotite (7), et des cristaux brillants de pyroxène. Cette roche est tout ce qui reste du manteau supérieur après sa fusion partielle qui engendra le magma constitutif des roches que nous allons voir maintenant. 
A côté du chemin on observe une ancienne calcaire d'albitite, une roche très claire, qui servit à la construction des forts. Son origine est étroitement liée à celle des gabbros qui seront vus ensuite. En effet, dans la chambre magmatique mise en place au-dessous de l'axe de la dorsale, lors du refroidissement de la lave des cristaux apparaissent, ce sont en premier des feldspaths blancs et des pyroxènes verts qui sédimentent alors au fond de la chambre et donnent naissance aux gabbros (8) qui constituent la majeure partie de la montagne et dont la variété est importante. Le résidu du magma encore liquide s'infiltre sous la forme de filons qui cristallisent aussi en profondeur mais en donnant majoritairement un feldspath blanc : l'albite. 
La montée au sommet se fait en suivant l'arête ouest, par un petit chemin, le long duquel des panneaux vous apporteront ponctuellement quelques précisions géologiques. 
On rencontre à peu près à mi-hauteur les premiers coussins de basalte (9) qui se sont épanchés voici 150 millions d'années sur le fond de l'océan alpin. Leur forme arrondie est caractéristique et résulte du refroidissement rapide de la surface qui passe brutalement des 1000 °C de son émission aux quelques degrés régnant au fond des océans et qui s'observe dans la structure particulière du cortex de ces coussins qui présente de minuscules pointes blanchâtre de feldspath. Ces cortex, du plus bel effet décoratif ont pris le nom de variolite. 
Au sommet on peut apercevoir les baraquements qui servirent à abriter les soldats durant l'offensive italienne de la dernière guerre. 

Le Chaberton 
Au plus fort de la tension qui opposa la France à l'Italie dans les années trente, cette dernière décida de construire un vaste système offensif sur le sommet du Chaberton. Celui-ci fut aplani afin de permettre la construction de huit tourelles équipées de canons de 149. L'inquiétude régnait à Briançon désormais à portée de canons. Des essais de contre-offensive furent alors organisés en juillet 1939, des canons placés à Cervières tentant d'atteindre le sommet de Rochebrune. Le 21 juin 1940 débuta l'offensive italienne Le Chaberton tirant sur le Janus, le Chenaillet et le Gondran. Mais le 154 ème régiment d'artillerie de position étaient prêt et si le mauvais temps retarda ses premiers coups, à 15h30, la contre-offensive débuta. Immédiatement efficace, le Chaberton était anéanti à 22 heures !

Mont Chaberton

Descendre en direction du col du Soréou au niveau duquel on observe des brèches (10) incorporant des éléments de basalte posées sur les basaltes en coussin et qui témoignent des éboulements liés à la croissance de l'océan alpin. 
La balade s'achève ensuite à la falaise du collet vert, le plus bel affleurement de laves en coussin connu en europe. Un petit effort de réflexion vous permettra aisément de replacer celle-ci dans sa position originelle, pour cela il vous suffira d'appliquer une méthode simple.. qui vous est expliquée sur le panneau au bas de la falaise.    

Falaise du Collet Vert

Orientation des coussins de basalte

Pour la descente vers Montgenèvre, vous avez le choix entre la vallée de la Doire qui se dirige ensuite vers l'Italie et la vallée de la Durance, ce dernier itinéraire étant le plus rapide.
 

Durance ou Clarée ? 
Vous serez peut-être étonné lors de votre montée de la petite taille du ruisseau qui deviendra la Durance. Et si vous suivez son cours jusqu'à sa confluence avec la Clarée venant de la vallée de Névache peut-être aurez vous un doute concernant la véritable source de la Durance. En effet, la Durance fait alors piètre figure face à la Clarée qui perd pourtant ici son nom.

 Texte et photos : Copyright Nathalie Cayla 1998

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