Aller à la recherche

Une traversée du Vercors

Par Martine Cante

Dessins : Maxime Fulchiron, Catherine, Christine et Françoise

Vendredi 14 juillet : 
Il est 11 h 30 en gare de Grenoble, heure de l’arrivée du TGV venant de Paris. La chaleur est étouffante. Le temps d’un petit sandwich, et nous montons dans le car qui nous emmène à Autrans.
Au fur et à mesure que nous montons, nous découvrons les vertes prairies, les vaches tranquilles, et les falaises abruptes du Vercors. A l’arrivée (1040 m), la fraîcheur nous surprend. 
Nous nous installons dans nos logements (un appartement meublé pour une partie du groupe, l’auberge de jeunesse pour l’autre partie).
En guise de mise en jambes, nous montons à travers le bois du Claret à la « Croix des Albans », qui domine Méaudre. Jolie vue sur un paysage paisible et éblouissant de soleil. Au loin, le Grand Veymont nous montre son profil arrondi et dissymétrique. 
Le soir, avant le traditionnel feu d’artifice, un violent orage s’abat sur le village ; nous apprendrons le lendemain que cinq vaches ont été foudroyées.



 

Samedi 15 juillet :
Nous prenons le petit-déjeuner sur la place d’Autrans, inondée de soleil et occupée par une exposition de peintres locaux. C’est l’occasion de vous le dire : Nous bénéficions dans notre groupe de la présence de Maxime, passionné de dessins de montagne, accompagné par trois de ses « élèves » : Catherine, Christine et Françoise.
La montée au pas de Pertuson est brève mais rude. Peu avant la fin, nous traversons une zone de lapiaz. Ce sont des roches calcaires dénudées qui se laissent dissoudre depuis des milliers d’années par l’eau de pluie chargée de gaz carbonique. Un sol de pierres trouées dans lesquelles l’eau s’infiltre et ressort 1000 m plus bas, après avoir créé des paysages de grottes et de rivières souterraines.
Au pas de Pertuson, la vue est plongeante, verticale, sur la forêt dense et sombre qui remplit le vallon des Ecouges.
La descente, assez raide au départ, est comme un coup de hache dans la falaise.
Arrivés au col de Romeyère, nous décidons de constituer deux groupes : ceux qui irons directement au gîte des Rimets et ceux qui passeront par le pas du Follet. La descente du pas du Follet n’est pas bien balisée, mais finalement tout le monde se retrouve au gîte où le gardien nous réserve un accueil chaleureux (et des lits avec des couettes à fleurs...).

Dimanche 16 juillet :
Montée au Serre du Sâtre, au milieu des hêtres de la forêt des Coulmes, puis redescente vers le belvédère du Ranc.
Un vieux village ruiné, mais en cours de restauration par l’ONF : La Goulandière, témoigne de l’installation, au XVIIème siècle, de colons qui ne trouvaient pas d’autres refuges dans les montagnes surpeuplées de l’époque. Ces paysans, travaillant la terre et le bois, élevaient aussi quelques vaches, chèvres et brebis dans des hameaux dispersés à travers la forêt.



 


Dans un autre de ces hameaux, le Pot de la Siva, une école est ouverte au XXème siècle pour les enfants que l’on imagine marchant au plus fort de l’hiver le long des sentiers des Coulmes pour se rendre en classe.
Pendant que Gérard, le botaniste, herborise, et que Jean-Claude, l’historien, nous retrace l’histoire du XVIIème siècle, les dessinateurs, eux, sentent leur crayon frétiller à la vue de la vallée de la Bourne bordée d’impressionnantes falaises.
La descente du Pas du Ranc nous plonge sans préavis dans une ambiance de haute montagne.
Un chemin très raide mais bien tracé, bordé au début d’une rampe en bois, s’ouvre sous nos pieds.
Le trajet est long, caillouteux, et l’attention doit être soutenue pour éviter de se tordre les pieds. En contrebas, on aperçoit par endroit la Bourne qui brille dans le soleil.
Mais comme toujours en montagne, il y a loin de la coupe aux lèvres...
Choranche finit par arriver et c’est une troupe aux joues rouges comme des écrevisses et aux jambes arquées par l’effort de freinage de la descente qui s’installe à la terrasse du « Jorjane ». La patronne nous apporte sans barguigner, outre les différentes bières et limonades commandées, un pot d’eau, deux pots d’eau et même un troisième pot d’eau.
C’est à ce moment là que le randonneur, tel une plante sauvage, commence à revivre. Avant, il n’est qu’à demi conscient !

Lundi 17 juillet :
Aujourd’hui, tout le monde est au courant : C’est notre jour de repos !
Après un copieux petit-déjeuner sur la terrasse, nous montons en 45 min (sans les sacs) aux grottes de Choranche. C’est une visite, certes, touristique. Mais, dans la grotte du Couffin, personne ne boude son plaisir devant l’immense lac souterrain surmonté d’une forêt de fines stalactites qui s’y reflètent ! Ces fils de verre s’allongent d’un centimètre par siècle et ont donc été témoins de l’implantation de l’homme dans la région il y a plus de 6000 ans !
Nous redescendons et, vers 13 h, une charmante petite plage sur la Bourne permet à la fois aux dessinateurs de se livrer à leur passion, aux plus courageux de se baigner, et aux autres de pique-niquer à l’ombre...
A peine 1 h de marche plus tard, et nous voilà à Pont-en-Royans. Les maisons suspendues sont bien au rendez-vous, avec les enfants qui plongent dans la Bourne du haut des rochers, malgré l’interdiction affichée de Monsieur le Maire.
 


 

 

 

Mardi 18 juillet :
Aujourd’hui sera notre plus longue journée. Il nous faut d’abord monter au col de la machine (1100 m) par la sapine de Côte Belle, qui longe la Combe Laval.
Au col, à notre grand soulagement, une auberge nous fournit de l’eau car nos gourdes sont presque vides. Je ne résiste pas au plaisir de lire devant le groupe affalé dans l’herbe le récit enflammé et dramatique d’Albert Marchon (« Le Vercors » 1927) :

«A quelques pas de l’auberge, deux rochers se dressent, formant une encoche d’aurore. Ils amorcent la route de Combe-Laval, agrippée à une gigantesque muraille, chair à vif de la montagne fendue de haut en bas. De ce balcon téméraire, on découvre au loin tout un monde de pentes, de vallons, de hameaux...Du torrent qui fouille l’abîme, on n’entend que les échos. Des oiseaux, avec leurs cris, dépiautent ce bloc de vide, rasant de leur vol sinistre la foule des monstres pétrifiés qui occupent les gradins de ce prodigieux amphithéâtre. »

Encore tout tremblants de l’émotion suscitée par cette lecture, nous montons à travers la forêt jusqu’à la cote 1326.
Pendant la redescente, nous sommes surpris par un violent orage. Le tonnerre gronde autour de nous et des grêlons, gros comme des noisettes, se mettent à nous bombarder. Nous n’en menons pas large. Puis la grêle se transforme en pluie battante, le chemin de Manamillé n’est plus qu’un torrent de boue. Plus bas, le sentier qui parcourt à flanc le cirque du Val-Sainte-Marie est en partie effondré et encombré par des troncs d’arbres abattus. Enfin, la pluie cesse. Aux premières maisons de Bouvante-le-bas, alors que nous enlevons nos capes de pluie, les habitants s’étonnent de nous voir tout trempés. Ils ont entendu l’orage dans la montagne, disent-ils, mais n’ont pas eu de pluie.
Le soir, autour de la table de l’Hôtel du Sapin, alors que les chaussures emplies de papier journal sèchent sous la véranda, les langues vont bon train :
Après quelques verres de vin de noix, les grêlons de l’après-midi deviennent gros comme des melons et les coups de tonnerre font un vacarme digne des cavaliers de l’apocalypse.

Mercredi 19 juillet :
Le chemin, raide et caillouteux, descend dans les gorges de la Lyonne, remonte le ruisseau de Léoncel et gravit enfin une barre rocheuse. Tout ceci demande de l’attention et, après la longue étape de la veille, le groupe accuse une certaine fatigue.
Heureusement, Léoncel n’est plus très loin. Blotti dans une sorte de plaine d’altitude autrefois marécageuse, ce fut le monastère le plus important du Vercors aux XIIème et XIIIème siècles. C’était le temps des moines bergers, cultivateurs et bûcherons. Il n’en reste plus que l’église abbatiale, à l’architecture romane cistercienne, rigoureuse et sobre.
Après une bonne douche au gîte communal, chacun vaque à ses occupations : sieste, lessive, cartes postales, visites... Le meilleur point de vue pour les dessinateurs semble être l’arrière de l’église et l’on en voit plusieurs qui, assis dans l’herbe, s’efforcent de représenter sur leur carnet les formes arrondies et parfaitement équilibrées des différentes absides de son chevet.
Un jeune Hollandais qui transporte sa tente nous raconte qu’il était ce matin même à Saillans, alors que nous prévoyons deux jours pour faire le même trajet en sens inverse !
 


 



Jeudi 20 juillet :
L’étape prévue pour aujourd’hui est assez modérée. Nous prenons le temps d’observer les troupeaux de moutons, de cueillir des mûres et Maxime nous entraîne dans les ruines de l’église du Chaffal.
 


Ensuite, nous dévalons du plateau du Vellan par une sorte de défilé rocheux et nous atteignons le village de Plan-de-Baix. A partir de ce moment, il nous semble que nous pénétrons en Provence, la lumière et la végétation changent, la chaleur augmente, un monde bascule : On passe des Alpes du Nord aux Alpes du Sud.
Vers 16 h, nous arrivons dans le curieux village perché de Beaufort-sur-Gervanne. Nous sommes, comme dit Françoise, « au court bouillon », écrasés de chaleur, dégoulinants de sueur, et nous passons le reste de l’après-midi à somnoler dans notre chambre. Au soir tombant, nous faisons une rapide visite dans les vieilles ruelles de ce village jadis fortifié, mais il fait vraiment trop chaud !

 

 



Vendredi 21 juillet :
Etant donnée la chaleur prévisible, nous avons supplié hier soir notre hôtelier de nous préparer le petit-déjeuner pour 6 h du matin. Ce qui a été fait !
Et à 6 h 30, nous sommes devant l’hôtel, harnachés et chargés, prêts à partir, à cette heure où la chaleur est encore supportable.
Après avoir franchi une crête, voilà le village de Vaugelas, bien restauré avec ses maisons aux tuiles rouges et son église entourée de cyprès. Un sentier pierreux et parfumé de thym nous y conduit et Nicole fait sa provision d’herbes aromatiques pour l’année.
Plus loin, avant le col de Pourcheton, nous passons devant la chapelle St Christophe, restaurée par un chantier de jeunes. Devant l’entrée, un petit cimetière : Une pierre tombale, une grande croix en bois et un cyprès ; un long cyprès effilé, comme une flamme tendue vers le ciel. La sobriété et le calme de cet endroit nous touchent et nous aimerions y rester toute la journée. Maxime et ses élèves dessinent, puis nous pique-niquons à l’ombre de la pinède.
Mais nous savons qu’un long trajet nous attend encore à travers une garrigue grésillante de soleil et de cigales et nous repartons courageusement.
Pour se protéger du soleil, chacun a sa recette : Pour les uns, l’élégant chapeau à large bord, pour les autres, la casquette banlieusarde. Catherine a fière allure, avec ses yeux bleus sous son grand voile saharien qui flotte au vent.
Bientôt, nous arrivons dans les vignes. Le raisins sont verts et immangeables (nous ne sommes qu’en juillet !). Au loin, les champs multicolores s’étagent de part et d’autre de la rivière, dans la large vallée de la Drôme. Tout ce paysage bien ordonné, cultivé et agricole, annonce la fin de notre randonnée. Et à 14 h, nous arrivons à Saillans, où nous nous attablons sur la terrasse ombragée d’un café devant lequel glougloute une fontaine. Pendant que certains observent la différence entre l’ombre propre et l’ombre portée, d’autres remplissent leur verre à la fontaine car l’eau en est plus fraîche que celle du cafetier.

Cette randonnée a semblé assez éprouvante aux moins entraînés d’entre nous : Les dénivelés cumulés nous ont parfois réservé des surprises, avec des redescentes et des remontées brutales. Le terrain, très caillouteux, a fortement sollicité nos semelles de chaussures. Nous avons tour à tour été cuits par le soleil et bombardés par les grêlons. Mais nous rapportons une moisson de souvenirs, et notre expérience s’est enrichie d’une certitude : NOUS POUVONS LE FAIRE !
 


 


Fiche technique :


Vendredi 14 juillet :
Arrivée à la gare de Grenoble et montée en car à Autrans.
Installation à l’auberge de jeunesse, puis départ pour une randonnée de la demi-journée dans la vallée d’Autrans et de Méaudre.

Samedi 15 juillet :
Pas de Pertuson – Pas du Follet – Rencurel.
Dénivelé de montée : 770 m – Dénivelé de descente : 800 m – Distance : 17 km
Nuit en demi-pension au gîte « Les Rimets ».

Dimanche 16 juillet :
Serre du Sâtre – Pas du Ranc – Choranche.
Dénivelé de montée : 400 m – Dénivelé de descente : 1100 m – Distance : 14,5 km
Nuit en demi-pension à l’hôtel « Le Jorjane ».

Lundi 17 juillet :
Boucle de 5 km et visite touristique des grottes de Choranche.
Petit trajet de 4,5 km à plat pour arriver à Pont-en Royans.
Nuit en demi-pension à l’ « Hôtel du Royans ».

Mardi 18 juillet :
Col de la Machine – col de l’Echarasson – Bouvante-le-bas.
Dénivelé de montée : 1100 m – Dénivelé de descente : 800 m – Distance : 24,5 km
Nuit en demi-pension à l’ « Hôtel du sapin ».

Mercredi 19 juillet :
Gorges de la Lyonne – Pas de l’Echo – Ferme de Bouvaret – Léoncel .
Dénivelé de montée : 980 m – Dénivelé de descente : 550 m – Distance : 14,5 km
Nuit en demi-pension au gîte communal.

Jeudi 20 juillet :
Le Chaffal – Plan de Baix – Beaufort-sur-Gervanne .
Dénivelé de montée : 300 m – Dénivelé de descente : 850 m – Distance : 18 km
Nuit en demi-pension à l’ « Hôtel du midi ».

Vendredi 21 juillet :
Vaugelas – Col de la Croix – Col de Pourcheton – Saillans.
Dénivelé de montée : 450 m – Dénivelé de descente : 550 m – Distance : 15 km
A Saillans, car pour Valence, puis train pour Paris.



Texte : Martine Cante
Dessins : Maxime Fulchiron, Catherine, Christine et Françoise


 

Page top